
Art & Culture
Nature & Culture
Bien plus que les écrins végétaux des institutions qu’ils accompagnent, les jardins de musées doivent être appréhendés comme partie intégrante de l’expérience culturelle.
Vous en doutez encore? Rencontre pour vous convaincre, avec Annabelle Ténèze et Arnaud Amelot, respectivement Directrice du Louvre-Lens et Directeur de l’Architecture, de la Maintenance et des Jardins au musée du Louvre.

Tout sauf accessoires, les jardins de musées méritent donc de partager l’affiche?
Annabelle Ténèze : Le parc est tout simplement indissociable du Louvre-Lens, nous parlons d’ailleurs de musée-parc. Pour preuve, le réaménagement de ce dernier fut intégré au concours d’architecture du musée. Architectes et paysagistes devaient donc s’allier pour un projet d’ensemble cohérent. L’agence japonaise SANAA a ainsi imaginé un bâtiment d’un seul étage qui s’intègre harmonieusement dans l’environnement repensé par la paysagiste française Catherine Mosbach. Leur coordination a permis de créer un vrai dialogue entre les deux espaces, dialogue auquel concourent de grandes baies vitrées, un sol au même niveau entre intérieur et extérieur ou encore un savant jeu d’éclairages. Depuis le Pavillon de verre, la vue s’ouvre sur les terrils jumeaux de Loos-en-Gohelle, les deux plus hauts d’Europe, emblématiques du passé industriel du site. Et de l’autre côté, on voit le Stade Bollaert-Delelis et ses joueurs du RC Lens qui viennent s’entraîner régulièrement dans le parc !
Arnaud Amelot : Il faut en effet aborder les musées et leurs jardins comme un ensemble. Les Tuileries, mais également le jardin du Carrousel et les petits jardins périphériques autour du quadrilatère Sully font partie du Domaine National, au même titre que les bâtiments du Louvre. Ils sont d’ailleurs rattachés non pas à la Ville de Paris, mais à l’établissement public du Louvre. Cela englobe absolument chacun de leurs éléments : arbres, pelouses, fontaines… et suppose notamment que leur soit affecté tout spécialement un architecte en chef des monuments historiques
© Michael Heise - Jardin des Tuileries © F. Iovino - Louvre-Lens
La visite débute donc dès le jardin!
Annabelle Ténèze : Tout à fait! Nécessairement traversé par nos visiteurs, le parc de 20 hectares -alternant entre forêt, prairie, miroir d’eau- est un véritable lieu de vie fréquenté par les habitants, les sportifs, les enfants… En ce sens, il doit être perçu comme une transition douce avant ou après l’expérience de visite du Louvre-Lens, et plus largement comme un lien entre le musée et la ville. Il peut tout aussi bien être une destination en soi, surtout aux beaux jours durant lesquels il accueille des visites guidées, des installations sportives, des ateliers créatifs, des festivals… et même la Flamme olympique qui a traversé le parc et la Galerie du temps ! C’est un lieu de vie, d’émotions, et de rire aussi, qui invite tout naturellement à poursuivre sa visite au musée.
Arnaud Amelot : Nous considérons également que l’expérience de visite du Louvre débute lorsque sont franchies les grilles des Tuileries, ce que nous veillons à entretenir avec de la médiation. Les visiteurs évoluent dans le parc, ils découvrent ce jardin qui est en soi un véritable chef-d’œuvre, entretenu de manière traditionnelle par des jardiniers d’art. Du fait de leur architecture, sans oublier la présence de nombreuses statues classiques, les Tuileries sont déjà un musée à ciel ouvert!

Deux espaces verts, qui à Paris comme à Lens ont en commun une forte dimension historique.
Arnaud Amelot : Au fil de son histoire, le jardin des Tuileries a traversé bien des époques. Imaginez qu’à ses prémices, ce qui est aujourd’hui le plus grand parc intra-muros constituait alors la transition entre Paris et sa campagne. Catherine de Médicis est la première à s’y être vraiment intéressée en faisant un jardin semi-urbain, puis diverses évolutions successives ont suivi jusqu’au réaménagement dans le cadre du Grand Louvre.
Annabelle Ténèze : Le musée et son parc se trouvent sur un ancien site minier. Un patrimoine industriel qui fait partie de l’identité de la région et sur lequel s’est appuyée Catherine Mosbach pour façonner les espaces en respectant la topographie initiale. Les axes principaux du parc actuel épousent ainsi le tracé des anciennes voies ferrées servant à transporter le charbon, des morceaux de grès et de schiste figurent toujours aux abords des sentiers… Le Louvre-Lens est par nature et par son histoire très sensible à l’ensemble de la mémoire minière. Il l’évoque régulièrement par le biais de ce qui fait la singularité du musée : ses œuvres et ses expositions mais aussi par ses actions de médiation qui visent à mettre en lumière cet héritage industriel qui a paradoxalement fortement influencé la biodiversité du parc.
D’ailleurs, comment concilier la préservation de cette biodiversité avec une forte fréquentation?
Arnaud Amelot : C’est l’un de nos principaux défis. Cela passe par beaucoup de pédagogie, de signalisations… une œuvre de sensibilisation afin de redéfinir le rapport des visiteurs avec le lieu. Parallèlement, nous travaillons sur un nouveau schéma directeur de revalorisation et de revégétalisation des jardins : recherche de végétaux plus résilients, élargissement de la surface de verdissement qui avait diminué au fil du temps… Cette augmentation de l’îlot de fraîcheur doit cependant toujours se faire en respectant l’Histoire. Fort heureusement, nous pouvons nous appuyer sur une période de référence située au 17e siècle et durant laquelle le minéral était plus contenu. À cette époque, c’était d’ailleurs Jean Le Nôtre, père d’André Le Nôtre, qui était chargé de l’entretien des Tuileries!
Annabelle Ténèze : La nécessité de préservation de la biodiversité fut intégrée dès la conception du parc. À la fin des années 2000, Catherine Mosbach optait déjà pour des espaces en végétalisation spontanée. Un choix précurseur pour l’époque! Ne pas couper les herbes, laisser la nature s’exprimer librement… Les jardiniers responsables de ces espaces accompagnent les écosystèmes pour mieux les préserver. Nous avons par ailleurs un potager, des ruches, des hôtels à insectes… autant de lieux et activités qui alimentent notre médiation.
Louvre-Lens - Jardin des Tuileries
Et au milieu de la faune et de la flore, d’autres créatures apparaissent parfois. Comment les parcs enrichissent-ils la proposition artistique des musées?
Arnaud Amelot : Les Tuileries accueillent régulièrement des évènements éphémères, lors des Journées du patrimoine ou de la foire Paris Art Basel. Par ailleurs, à l’initiative de la directrice du Louvre, Laurence des Cars, le musée accueille des artistes en résidence avec une grande liberté. Celle de Mohamed Bourouissa fut marquée par une grande attention portée aux jardins qui ont inspiré à l’artiste, une série de mini vidéos. Depuis Mai nous accueillons une œuvre de la sculptrice Barbara Chase-Riboud. Il se passe toujours des choses aux Tuileries!
Anabelle Ténèze : Au Louvre-Lens la dimension artistique du parc est multiple. Depuis 2018 et dans le cadre du projet du « Louvre en partage », nous accueillons des œuvres qui ponctuent les différents espaces extérieurs. Ainsi, une sculpture en bronze de Françoise Pétrovitch (Tenir), choisie par les habitants, a-t-elle investi les bois, tandis que les arcs d’acier monumentaux de l’œuvre Désordre, de Bernar Venet, se posent sur un pré du parc comme pour en rappeler l’histoire. Plus proche du musée, l’Obélisque bleu à fleurs de Niki de Saint Phalle peut être perçu comme une vraie transition entre le dedans et le dehors. De l’extérieur à l’intérieur, le dialogue s’établit dans les deux sens : fraîchement réaménagée, la nouvelle Galerie du temps propose en accès libre, dans un espace ouvert de 3000 mètres carrés, une plongée dans 5 000 ans d’histoire, à travers plus de 250 œuvres, dont beaucoup évoquent la nature environnante. Expérience esthétique et propice à la contemplation, ce parcours est un voyage sensible à travers les siècles et la création. Le visiteur pourra ainsi déambuler entre une allée de sphinx d’Égypte, les célèbres portraits végétaux de Giuseppe Arcimboldo, le tout premier portrait animalier signé de Jacopo Bassano ou encore un paysage de Théodore Rousseau. La nature est une éternelle source d’inspiration!
Article issu du Magazine Esprit de France.
Couverture - ©Olivier Ouadah
Article du 12/09/2025